L'épreuve du feu
8 juillet 1943. Un message radio parvient à l'etat major soviétique. Depuis le mois d'avril, la Stavka, renseignée par le réseau d'espionnage Lucy, est au courant des préparatifs allemands contre le saillant de Koursk. Au Kremlin, comme à la Wilhelmstrasse, on sait que le sort de la guerre va s'y jouer. Stalingrad n'était qu'un hors d'oeuvre. C'est dire si l'enjeu est important. Les soldats de l'Armée rouge ne se battent plus pour le communisme ou la révolution prolétarienne, non. C'est la Rodina, la mère-patrie qu'ils défendent pied à pied, comme des louves défendent leurs petits. Cela fait trois jours à présent que les Allemands ont lancé Citadelle. Leurs panzers déferlent sur les lignes de résistance. Si la progression est lente au Nord, le flanc sud du saillant donne de plus gros soucis aux Russes. Les lignes de défense tombent les unes après les autres sous les coups de boutoir des envahisseurs fascistes. En pointe, comme à leur habitude, les unités de la "Garde", les trois divisions de Panzergrenadiers du SS Panzerkorps de Hausser qui foncent devant elles comme un torrent que rien ne semble pouvoir arrêter. Dans les postes de commandements et les états-majors, la tension est extrême. Lorsque, brusquement, un message radio provoque la stupéfaction :
"L'ennemi a mis en oeuvre un nouveau char. Aspect assez semblable au "Tridsatchedverka" (T-34). Le tank est lourdement armé. Poids approximatif : 40 à 50 tonnes. Armement : probablement un Flak 88. Avons des pertes au combat dans un rayon de 2000 m".
Source : http://www.achtungpanzer.com/pz4.htm
Les Panthers D de la 2e compagnie du bataillon 51 montent en ligne avant le déclenchement de l'Opération Citadelle, à l'été 1943. Pour l'Armée rouge, le choc de la rencontre avec les nouveaux chars allemands sera aussi rude et désagréable que celui des SS Wiking avec le T-34 en 1941.
Le message retarde car le baptême du feu du Panther a eu lieu trois jours plus tôt, dès le 5 juillet, premier jour de Citadelle. Les bataillons 51 et 52 ont été lancés à l'assaut des positions soviétiques pour ouvrir le passage aux unités de Panzer et d'infanterie. Surprise douloureuse pour les défenseurs russes. Comme l'existence du T-34, celle du Panther avait été gardée secrète par l'OKW.
Le message radio soviétique en dit long sur la panique éprouvée par les défenseurs et plus particulièrement par les équipages des chars de l'Armée rouge. Si le canon de 76 mm du T-34/76 s'avérait redoutable à l'été 1941, il donne d'inquétants signes de faiblesse par rapport aux nouvelles versions du Panzer III M et des Panzer IV G et H, tous équipés de Schürzen de tourelle et de caisse. Le blindage frontal espacé du Panzer III M, 50 mm d'acier séparé par un intervalle avec une plaque additionnelle de 20 mm présente une capacité de résistance aux projectiles équivalente à un blindage de 110 mm dépaisseur (le blindage frontal du Tiger I est de 100 mm).
Le canon de 76 mm russe est totalement inefficace contre les 80 mm de blindage frontal incliné du Panther D. Impossible de venir à bout en face-à face des nouveaux venus, de ces tueurs de la steppe qui peuvent être considérés -ironie du sort- comme les fils du T-34 revenus à Koursk commettre une sorte de vengeance paricide. Il est loin le temps où le T-34 dominait sans partage les immensités du front de l'Est. En ce 5 juillet 1943, la peur a changé de camp, et ce sont les chars soviétiques qui s'embrasent et explosent les uns après les autres sous les tirs tendus des Kwk 42 manoeuvrés par les hommes en noirs aux revers frappés de la Totenkopf qui répandent la mort et la destruction.
Un T-34 détruit sur le champ de bataille de Koursk. Rien ne prouve que c'est l'oeuvre d'un Panther, mais ce genre de spectacle a pu être contemplé maintes fois par les équipages des bataillons 51 et 52, au moins le 5 juillet. Selon les critères allemands, pour qu'un blindé ennemi soit considéré comme détruit il fallait : 1) soit qu'il explose. 2) soit que la tourelle soit arrachée. 3) soit qu'il brûle. C'est le cas ici et le tube d'un canon allemand pourra s'orner d'un cercle blanc de victoire. À moins que ce ne soit un Panzerjäger de l'infanterie qui ait détruit ce char avec une mine magnétique ou un cocktail molotov, comme dans le film Stalingrad de Joseph Vilsmaier (1992).
Voici un lien vers un extrait du film qui montre un combat antichar. Les Allemands diposent d'un seul Pak 40 de 75 mm face à plusieurs T-35/85 (qui n'était pas encore en service au moment de Stalingrad).
http://www.youtube.com/watch?v=7kb44SUcSd0
Voici le trailer de cet excellent film. Bande annonce en VO non sous-titré.
http://www.youtube.com/watch?v=b1kXl4m3Hj4
Un panther D détruit. Ce ne fut le sort que d'un petit nombre des engins de ce type engagés à Koursk. On distingue ici nettement plusieurs impacts sur le flanc de la tourelle, rendu vulnérable par la faible épaisseur du blindage (40 mm). Il y a six impacts et on en distingue un septième au-dessus de la 4e roue de route depuis l'avant, et même un huitième sur la sixième roue. Ce chiffre s'explique par la peur inspirée par le Panther aux tankistes et aux servants des canons anti-chars ennemis. Très vite ceux-ci prendont l'habitude de s'acharner sur les Panthers pour être sûrs de les détruire, comme en témoigne un film plus tardif tourné sur le front de l'Ouest au printemps 1945.
Le panther va répandre aussi la panique. Aucun blindage ne résiste aux obus de 75 mm que tire son canon. Les Panzerschützen peuvent théoriquement engager leurs adversaires jusqu'à 2000 m. Les effets des tirs du 75 mm KWk 42 sont dévastateurs jusqu'à 1000m, distance en dessous de laquelle le blindage frontal incliné du T-34/76 est percé à coup sûr. Pour les tankistes russes, aucun doute n'est permis : les Allemands ont réussi à monter le redoutable canon de 88 mm Flak sur un Panzer. La pièce allemande de 75 mm à haute vitesse intiale s'avère aussi redoutable que le 88 mm du Tiger I, même si ce dernier peut engager des cibles jusqu'à 3000 m.
Toutefois le choc causé par l'entrée en scène du Panther sera de courte durée. L'un des adversaires du plan Citadelle, le général Guderian, avait déclaré à Hitler qu'il était trop tôt pour engager le Panther sur le front. Il avait précisé que le nouveau char n'était pas encore prêt. Les événements vont lui donner raison. L'histoire du Panther pendant la bataille de Koursk n'est pas celle d'une chevauchée des Panzers dans les lignes ennemis, mais bel et bien une longue litanie de problèmes mécaniques. Le petit dernier des blindés de la Panzerwaffe va en effet être affligé de "maladies de jeunesses", corrolaire d'une mise au point trop rapide effectuée dans l'urgence. Toute la solidité du blindage incliné et toute la puissance du Kwk 42 ne pourront rien contre les insuffisances mécaniques de la motorisation et des transmissions.
"Je vais te dire, mon vieux, nos "Panthères" ne sont même pas au point.
-Tu exagères.
-Pas du tout. Nous on sortait de l'école de Paderborn et nos "Panthères" tout droit de l'usine. On n'a même pas eu le temps de faire connaissance. Au début, des flammes de plus d'un mètre sortaient des pots d'échappement. Tout était plein d'huile et d'essence. Nous aussi, maculés de cambouis. Une étincelle et tout flambait, le Panzer et l'équipage".
Jean Mabire, Les Panzers de la Garde noire.
Les souces établissent que sur les 200 Panther D alignés par les bataillons 51 et 52 seul un petit nombre participera à l'ensemble de la bataille de Koursk. Dès le soir du 5 juillet 1943, 65 % des Panther D sont hors de combat, la quasi-totalité sur problème mécanique. Pire : plusieurs d'entre eux sont tombés en panne pendant qu'ils gagnaient les positions de départ dans les jours précédant le 5 juillet. Le nouveau blindé souffre de maladies de jeunesse qui se sont manifestées très vite et qui n'ont pas été remarquées plus tôt suite à des test écourtés. Les premiers exemplaires sortis de chaînes de montage en novembre 1942 avaient déjà dû être tous reconduits en usine pour y être réparés. Les roues du Panther ont des bandages de caouthchouc, fixés par 16 boulons, qui tendent à se détacher. Le nombre de boulons est porté à 24.
Il y a plus préoccupant, et c'est là le premier talon d'Achile du Panther D : le moteur.Comme indiqué dans un chapitre précédent, le moteur d'origine du projet MAN a été remplacé par un autre, plus puissant, le Maybach HL 230 P30 à 12 cylindres et refroidissement par eau, qui développe une puissance maximum de 700 CV. Le problème du refroidissement du moteur semble résulter de l'installation d'un système de chauffage de l'habitacle. Celui-ci s'effectue à l'aide d'un ventilateur qui aspire l'air extérieur à travers le radiateur gauche. Cet air est ensuite pulsé dans une canalisation jusqu'au compartiment de combat. C'est cette installation qui empêche le refroidissement correct des gaz d'échappement et génère des surchauffes du moteur entraînant des pannes fréquentes, voire même des incendies.
Le second problème est lié à la transmission. Malgré l'accroissement de la puissance du moteur, cette dernière n'a pas été modifiée. Elle est donc sous-dimensionnée et peut se rompre brusquement à plein régime, ce qui arrivera fréquement, non seulement à Koursk, mais sur d'autres champs de bataille.
Ce Panther est encore en cours de construction. La photographie met en évidence les barres de torsion de la suspension, mais surtout, l'arbre de transmission et l'impressionnante boîte de vitesse qui coupe en deux le compartiment de combat avant entre les postes du pilote et du radio. C'est une boîte ZF AK 7-200 à sept rapports avant et un arrière. Il ne s'agit pas d'un Panther D : la trappe de vision du pilote à gauche et la Kugelblende (rotule de tir) à droite permettent d'identifier à coup sûr un Panther A 2e version.
Les opérations de dépannage qui se déroulent sous le feu de l'ennemi sont encore compliquées par les 44,8 tonnes du Panther. Il existe bien de remarquables tracteurs Demag SdKFZ 9 dotés d'une grue de remorquage, mais ces derniers ont été prévus pour prendre en charge au grand maximum les 25 tonnes d'un Panzer IV. Pour tracter la masse imposante du Panther, il faut deux, voire trois Demag. Les ateliers mécaniques sont débordés par le travail et la récupération des engins en panne est lente, ainsi qu'en témoigne le rapport de l'Oberstleutnant Mildebrath, commandant le II./Panzer Regiment 23, une unité de la Heer arrivée début septembre en Russie avec 96 Panther D de renfort :
"Comme nous n'avons reçu que quatre tracteurs lourds Zugkraftwagen 18 tonnes, nous ne pouvons pas prendre en remorque tous les chars en panne et il faut souvent les tracter avec des Panther réparés. Le nombre de chars opérationnels serait bien supérieur si nous disposions de plus de tracteurs Zugkraftwagen 18t. La plupart des Panther utilisés pour la traction sont à présent très gravement endommagés (moteur cassé, pannes hydrauliques, etc.)".
Source : Armes militaria Hors-Série N°67, Op. Cit., p45.
Ce rapport montre bien que les incidents mécaniques ayant touché les bataillons 51 et 52 pendant la bataille de Koursk on également pénalisé les unités de Panther D arrivées par la suite au Front.
Certains Panther D ne pourront pas être réparés dans les temps et seront sabordés par les équipages.
D'autres enfin seront capturés intact par l'armée rouge qui lance une vigoureuse contre-offensive après l'échec de Citadelle.
Trois tracteurs tirent un Panther en panne. L'expérience apprendra aux équipage que la meilleure solution pour dépanner des camarades sera de faire tirer un panther par un autre, bien que cette manoeuvre soit strictement interdite par les règlements en vigueur au sein des forces armées du Reich.
Ce panther D, qui semble avoir été capturé intact, est examiné par les Soviétiques.
Des soldats de l'Armée rouge en progression à côté de l'épave d'un Panther D. Sans doute une photographie de propagande. Vu l'importance des dégats il est plus que probable que cet exemplaire ait été sabordé par son équipage : même le tube du Kwk 42 a été sectionné.
(L'article sera complété très prochainement).
Sources :
KEEGAN John [dir] : Atlas de la Seconde Guerre mondiale, France Loisirs, Larousse 1990.
MASSON Philippe, Histoire de l'Armée allemande, Perrin, 1994.
LEMAY Benoît Op. Cit.
TNT N°2 Op.Cit.